Entretien avec le cinéaste Ahmed Baidou L’avenir du cinéma au Maroc passe par les pet
Natif du paisible village de Mirletf dans la province de Sidi Ifni, le jeune cinéaste amazigh, Ahmed Baidou, a déjà signé plusieurs films en tant que cadreur et/ou réalisateur et qui vont du court au long métrage, en passant par le film documentaire, sans oublier des émissions comme ‘’Alam Assinima’’, ’’Achacha Al Koubra’’, ’’Chououn amazighiya’’ ou la série documentaire à succès, Amouddou…Plusieurs prix sont venus récompenser le travail d’Ahmed Baidou, dont notamment: le Prix national de la culture amazighe (IRCAM), catégorie cinéma en 2007, le Prix du meilleur court métrage du Festival international du film oriental de Genève en 2008, le Prix du jury du Festival du court métrage du Sebou à Kénitra en 2008, le Prix du meilleur court métrage amazigh du Festival Issni N’Ourgh d’Agadir en 2008, le Prix de la meilleure réalisation du Festival d’Ouarzazate en 2009, le Grand prix du Festival de Martil avec le film’’Bougafer 33’’, le Grand prix du Festival Issni N’ourgh d’Agadir avec le film ‘’Aghrrabou’’ avec le Prix de la meilleure interprétation masculine à l’acteur, Lahoucine Bardouaz en 2012. Libé: Racontez-nous d’abord comment vous êtes venu au cinéma. Ahmed Baidou: En 1999, j’ai créé avec des amis l’Association Takfarinas pour le théâtre amazigh à Dchéïra. Je faisais à l’époque un peu de tout: décoration, scénographie et interprétation. C’est à travers la scénographie que je me suis découvert un vrai penchant pour l’image. Après, j’ai fait de la photo. Ensuite, j’ai suivi des formations à l’Institut français d’Agadir et des stages à Casablanca et Rabat. J’aimais beaucoup l’image. Et c’est en 2003 que j’ai fait mes débuts au cinéma chez Faouzi Vision, une société de production locale. C’est là que j’ai vraiment commencé à travailler sur l’image. Et c’est là aussi où j’ai beaucoup appris sur le cinéma et la télévision. En quoi consistait votre travail chez Faouzi Vision ? Je faisais des reportages et je participais aux documentaires que la société réalisait à l’époque. Quel est le premier film que vous avez réalisé lors de vos débuts ? -Mon premier film en tant que cadreur et réalisateur est un documentaire en hommage à l’écrivain et poète amazigh, Ali Sidki Azaykou, que j’ai réalisé dans le cadre du Timitar Off en 2005 lors de la deuxième édition du Festival Timitar. Et ensuite qu’avez-vous fait ? J’ai travaillé comme cadreur chez Faouzi Vision pour l’émission’’Alam Assinima’’, réalisée par Driss Chouika et produite par la SNRT en 2007/2008. J’ai été aussi cadreur et réalisateur de l’émission’’Achacha Alkoubra’’produite par la SNRT, et j’ai également travaillé pour d’autres sociétés de production. Quel est le premier film de cinéma que vous avez fait ? “Poupées en roseaux’’ (Tislatin oughanim) est mon premier court métrage de cinéma qui a été produit en 2007 par Faouzi Vision. En 2009, jai réalisé ’’La Mémoire’’, mon deuxième court métrage produit également par Faouzi Vision. Et après? Après, j’ai été opérateur et réalisateur de la série documentaire ‘’Enigmes de l’Histoire’’ pour la SNRT 2009/2010/2011 , et du film documentaire ‘’Bougafer 33’’produit par Storm prod. Avez-vous déjà travaillé pour Tamazight TV? Oui. Je suis actuellement cadreur et réalisateur de l’émission ‘’Chououn amazighiya’’ produite par la SNRT/Tamazight en 2012. En 2012, vous avez tourné votre premier long métrage en langue amazighe : ’’Aghrrabou’’. Où en est ce projet actuellement ? Je dois préciser qu’‘’Aghrrabou ‘’est produit par Strom prod. Actuellement, on est en train de le préparer en laboratoire pour sa sortie en salles. Tourné en vidéo HD, il va être transféré en format 35 mm pour les salles équipées en appareils de projection en 35 mm, et en DSP pour les salles numériques. Je pense qu’il sortira en salles en janvier prochain. Parlez-nous de vos projets futurs. Je prépare un documentaire intitulé :’’L’Homme libre’’sur les origines de l’Homme en Afrique du Nord. Plusieurs historiens, chercheurs marocains et autres m’aident dans la préparation de ce travail. J’ai également un autre projet en préparation, il s’agit d’un film documentaire sur Azaykou :’’Ali Azaykou, Mahattat li Addakira’’. A travers ce film, j’entends rendre hommage à ce grand homme de lettres qu’était Si Ali Azaykou, que Dieu ait son âme. Venons-en maintenant au cinéma marocain. Que pouvez-vous nous dire à ce propos? Je vous dirai tout simplement que le cinéma marocain est actuellement sur la bonne voie. Lors des années 70 et 80 , on faisait deux à trois films par an. Aujourd’hui, on arrive à en faire une vingtaine. C’est donc là un très bon signe de vitalité. La commission de soutien à la production s’est réunie récemment et parmi les projets retenus, 70% ont été présentés par des jeunes, ce qui prouve qu’il y a une nouvelle vague de cinéastes qui arrivent. Ces jeunes réalisateurs vont donner un nouveau souffle au cinéma marocain. Il y a donc une nouvelle dynamique et tout cela est très encourageant. Et le cinéma amazigh dans tout ça ? Le cinéma amazigh est en train de bouger lui aussi. Les nouveaux réalisateurs de ce cinéma ont adopté une nouvelle approche, car ils ont étudié le cinéma, profité des expériences des autres, et tiré les leçons de l’expérience des pionniers. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. On a les moyens pour faire du vrai cinéma amazigh. Mais encore faut-il que la tutelle du secteur lui donne l’impulsion souhaitée pour qu’il aille de l’avant. Nous vivons un curieux paradoxe au Maroc. Alors que le cinéma national est en train de se développer, les salles, elles, ferment l’une après l’autre. Quelle est votre opinion à ce sujet? Je pense que l’avenir du cinéma au Maroc passe par les petites salles de quartiers et le numérique. Cependant, la télévision a un rôle à jouer dans ce domaine, à travers l’achat des droits de films qui pourraient ainsi passer à la télé parce que la télévision ne dit pas aux gens: «Venez voir un film!», c’est elle qui va vers les téléspectateurs. Je crois aussi que les petites salles pourraient être la solution à ce problème, car les grandes salles de 400, 500 et 1000 personnes, sont très peu fréquentées, et en plus, il n’y en pas dans toutes les villes du Royaume. L’autre problème du cinéma, c’est le format 35 mm, mais je pense que dans deux ou trois ans , ce sera fini pour le 35 mm. En Europe, en Amérique, et même au Maroc, il y a déjà des salles en numérique. Les petites salles peuvent drainer du public, et en outre, elles ne demandent pas beaucoup de moyens comme les grandes salles. Et avec une projection numérique de grande qualité, les gens pourront y aller régulièrement. C’est là une solution qui présente un avantage pour tout le monde : les promoteurs, les producteurs et l’Etat. Et quelles mesures incitatives pourrait-on envisager ? Pour moi, l’école a son rôle à jouer. En effet, c’est là qu’on doit sensibiliser les jeunes à l’art en général : peinture, danse, cinéma, théâtre, musique…On doit développer une culture du cinéma à l’école dans les clubs scolaires, les cinés clubs. Puis après, viennent les moyens. Enfin, il y a le problème du prix du billet de cinéma. Car débourser 35 ou 40 DH pour aller au cinéma, c’est trop cher pour une famille marocaine surtout pour quelqu’un qui touche un salaire de 3 000, 00 ou 4 000, 00 DH parce qu’il ne peut pas emmener quatre personnes, par exemple, au cinéma et débourser 150, 00 DH par week-end, plus les sandwiches, le taxi ou la voiture; Ce serait trop cher. C’est donc impossible. Sans encouragement, on ne peut rien faire. Je pense qu’il faut prévoir des tickets familiaux à des prix symboliques, pour les étudiants aussi. En somme, il faudrait initier une politique volontariste, et développer une vraie stratégie en matière de cinéma. Je crois qu’on devrait profiter des complexes culturels, des maisons de jeunes et de la culture où il y a des salles. Je pense, par exemple, aux Complexes Jamal Addorra et Khaïr-Eddine, ici, à Agadir. Il y a un certain nombre de salles dont on devrait profiter pour encourager le cinéma. Il suffirait de les équiper pour cela. Une dernière question. Que pensez-vous des festivals de cinéma que l’on voit fleurir un peu partout ? Les festivals apportent toujours un plus au cinéma, surtout aux films des jeunes cinéastes et aux films documentaires qui ne passent pas à la télévision ou qui n’ont pas la chance de passer dans les grandes salles, et mêmes les longs métrages qui passent à Casablanca , Tanger, Rabat où il y a des salles, et qui ne peuvent pas passer dans notre région. La seule opportunité pour ces films-là, ce sont les festivals. Il faut savoir qu’un festival, c’est aussi un moyen de communication entre les professionnels du secteur et le public. De leur rencontre, peuvent naître de nouveaux projets, de nouvelles orientations, etc. Mais il faut qu’il y ait des festivals spécialisés : court métrage, documentaire, long métrage, festivals thématiques. . . Ils devraient aussi avoir des objectifs à long terme. Sur le plan social, il faut que le festival ait des répercussions positives sur la ville dans laquelle il se déroule; il faut qu’il y ait des formations toute l’année, et pas uniquement pendant les trois jours du festival; il faut créer des projets, des marchés au sein du festival; amener des producteurs pour l’échange, etc. Je parle pour la région Tiznit, Taroudant, …Bien sûr, je comprends que les organisateurs ne peuvent pas faire tout ça, parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Le rendez-vous étant annuel, c’est à peine s’ils arrivent à s’en sortir. Lundi 24 Décembre 2012 Propos recueillis SOURCE WEB Par M’BARK CHBANI Libération