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Cités vertes Curitiba au Brésil

Cités vertes Curitiba au Brésil

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“Une ville faite pour les gens, pas pour les voitures”

LE MONDE BOUGE - Dans les années 70, des urbanistes audacieux lancent à Curitiba, dans le sud du Brésil,

un modèle “vert et social” fondé sur des projets à échelle humaine. Ils veulent inventer “une autre manière de

vivre ensemble”. Une réussite aujourd'hui menacée par l'explosion démographique...

Le dimanche, sur la place Largo da Ordem, c'est le jour de la feirinha hippie, le marché artisanal. Et en cette fin

novembre, le soleil printanier brûle la peau et les façades colorées du centre historique de Curitiba, capitale de l'Etat du

Paraná, dans le Sud brésilien industrialisé. Des filles à la longue chevelure et aux ongles manucurés flânent entre les

stands de marqueterie et de jouets en bois et sirotent du coco verde. Un garçonnet, tongs Havaianas aux pieds, dévore

des yeux la danse des capoeiristes. N'étaient les guirlandes de Noël made in China, tout semblerait à sa place,

impeccablement brasiliano. Ne pas s'y fier pour autant. Curitiba, dit-on souvent, ce n'est pas « vraiment » le Brésil.

Les abribus ultramodernes - photo: Pascale Lion

                        

Carrinheiros (ceux qui trient) de Curibita - photo: Pascale Lion

La formule peut s'entendre comme un compliment ou une critique, selon celui qui la prononce. Ici le climat est

plus rude, les peaux plus claires et, paraît-il, les tempéraments plus réservés qu'à Rio ou São Paulo. Le fameux «

melting pot » brésilien ? Il a bien eu lieu, mais entre immigrants européens venus peupler la cité à partir du XIXe

siècle, en masse : Italiens, Allemands, Anglais, Ukrainiens, Polonais, et plus tard, Syriens, Libanais, Japonais. Le

visiteur européen en mal d'exotisme en sera pour ses frais : passé la typique place Largo da Ordem, la ville a tout d'une

greffe du monde industriel en pleine Amérique latine, forcément décevante au premier abord. Une forêt de gratte-ciel,

perchée à près de 1 000 mètres d'altitude, au petit air germanique ou suisse tant les trottoirs sont propres. Et partout, à

chaque coin de rue, des poubelles en rang d'oignons, par famille de quatre : jaune pour le métal, bleue pour le papier,

verte pour le verre, rouge pour le plastique.

En 1989, bien avant tout le monde, les Curitibains se sont mis à trier et recycler. « Lixo que não é lixo » (« le

déchet qui n'est pas un déchet ») est devenu leur mantra. Et un symbole de plus dans l'histoire d'une ville à part dans le

pays, et sur le sous-continent. Car ici, depuis bientôt quarante ans, s'invente une utopie urbaine, sociale et écologique,

une « ville verte et sociale », disent les slogans municipaux. « Une autre manière de vivre ensemble », comme le répète

Jaime Lerner, 71 ans, architecte, urbaniste, figure tutélaire de la ville dont il fut trois fois maire (1), avant de devenir

gouverneur de l'Etat.

        “On m'avait dit qu'il faudrait quatre mois.

J'ai répondu ‘faites-le en quarante-huit heures’.”

                           

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Programme d'échange des déchets recyclables - photo: Pascale Lion

Curitiba, 1972. Lerner, la petite trentaine, maire tout frais nommé par le régime militaire, ordonne la

transformation d'une rue du centre-ville en zone piétonne. C'est une première en Amérique latine, et le début de la

grande mue pour la ville. « On m'avait dit qu'il faudrait quatre mois, raconte-t-il, jovial et tout de noir vêtu, dans les

vastes bureaux aux baies vitrées et au toit végétalisé qui abritent son cabinet d'architecte, le Lerner Group. J'ai répondu

"faites-le en quarante-huit heures". » Les travaux de la rua Quinze prennent finalement trois jours et provoquent

d'intenses débats à travers la ville, des mois durant. Mais ils sont emblématiques d'un choix urbain – « une ville faite

pour les gens, pas pour les voitures » – à contre-courant de l'esprit de l'époque. Ils impriment aussi le « style » Lerner :

aller vite. « On a construit l'opéra en deux mois, le jardin botanique en trois mois, le musée Niemeyer en cinq mois.

Pas pour battre des records mais parce que c'était une nécessité. Agir vite, c'est la seule façon d'éviter votre propre

bureaucratie. Et puis, du moment qu'on a un scénario, il faut se lancer. »

Et justement, le scénario, il l'avait : un plan directeur conçu par la jeune et créative équipe d'architectes et

urbanistes, la plupart formés en France, de l'Institut de recherche et planification urbaine de Curitiba (Ippuc), dont il

avait été le premier directeur. Tandis que les autres villes du pays se laissent entraîner dans une croissance rapide et

désordonnée, la nouvelle équipe municipale choisit de maîtriser le développement de Curitiba et de faire une cité

boisée, à échelle humaine. « De la pure planification comme les affectionnent les dictatures mais visionnaire et

inventive et qui, paradoxalement, a marqué le début d'une vraie citoyenneté : avec la rua Quinze, chaque Curitibain

s'est mis à discuter urbanisme. Et est devenu fier de cette ville jusqu'ici froide et ordinaire », résume Maria Elisa Ferraz

Paciornik, belle femme et forte tête, qui fit partie de l'équipe. Depuis, sans cesse réactualisé au fil des alternances

politiques, le plan curitibain est une référence, nationale et internationale en matière de planification urbaine, de qualité

de vie et de « vivre ensemble ». Un exemple aussi de ce à quoi pourrait ressembler une ville gérée par des urbanistes et

des architectes – ils se sont succédé à la mairie jusqu'en 2004 – et pas par des politiques « classiques ». Deux prix à

l'Expo '90 d'Osaka, un autre dans le cadre du Programme des Nations unies pour l'environnement, un autre encore de

l'Unesco pour sa politique de santé publique… Curitiba aligne les trophées et aujourd'hui encore il ne se passe pas une

semaine sans qu'une délégation étrangère vienne voir de plus près son « modèle ».

“Nous avons fait simple et résolu

     les problèmes avec de petits

budgets. Ça stimule la créativité.”

                                                                              

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« Pas un modèle, modère Lerner, mais des idées simples et souvent peu coûteuses. Car l'argent ne résout pas tout.

Prenez les Canaries, sept îles éloignées de 30 kilomètres les unes des autres qui comptent huit aéroports. Ça coûte cher

et c'est absurde ! A Curitiba, nous avons fait simple et résolu les problèmes avec de petits budgets. Ça stimule la

créativité. » Pas d'argent pour construire un métro ? Ce sera un système calqué sur la logique du métro : des bus colorés

express, bi ou triarticulés, qui desservent les différents quartiers de la ville sur de larges voies réservées, selon le

principe du ticket unique – et les tarifs les moins chers du Brésil, quelle que soit la durée du trajet et le nombre de

changements. Comme dans le métro, on y entre et on en sort rapidement via de drôles d'Abribus en forme de tuyaux

translucides. Une solution « dix fois moins chère qu'un tramway, et cent fois moins qu'un métro », et qui a fait des

émules à Bogotá, Panamá ou Los Angeles. Pas de plages ? La ville construit une trentaine de vastes parcs paysagers,

des centaines d'avenues et de places publiques arborées et fleuries. Au total, plus d'un million d'arbres seront plantés et

aujourd'hui, chaque Curitibain dispose en moyenne de 52 mètres carrés d'espaces verts, un record quand la population

ne cesse d'augmenter. Et la cité, initialement pensée en termes de qualité de vie, s'invente un destin écolo avant l'heure,

une marque de « ville qui respire le vert » comme le martèle la propagande locale.

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Le parc de l'université Unilivre - photo: Pascale Lion

Pour définir sa méthode, Lerner, malin comme un singe et doté d'un sens aiguisé du marketing, a une formule :

l'acupuncture urbaine. « Certaines actions ponctuelles peuvent transformer une ville, lui redonner de l'énergie. Vous

l'avez fait à Paris, par exemple, avec la Pyramide du Louvre. » A Curitiba, les aiguilles de monsieur l'acupuncteur et

ses héritiers sont plantées un peu partout. Dans les « phares du savoir », petites bibliothèques où les jeunes des

quartiers populaires peuvent étudier et accéder au Net gratuitement. Dans l'université Unilivre, splendide bâtiment en

bois construit à partir d'anciens poteaux téléphoniques (inauguré par le commandant Cousteau himself !) et qui propose

une initiation gratuite à l'environnement. Dans les « rues de la citoyenneté », installées près des grands terminaux de

bus qui rassemblent tous les services publics de la ville et évitent aux habitants de se déplacer dans le centre. Mais aussi

dans d'ingénieux programmes tels que le Cambio Verde, un « échange vert » qui permet aux habitants des favelas de

troquer leurs déchets recyclables contre des fruits et des légumes.

La-ville-faite-pour-l'homme-

       et-pas-pour-la-voitur

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« N'importe quelle ville dans le monde peut améliorer sa qualité de vie en moins de trois ans », répète à l'envi Lerner

lors des conférences qui lui font faire le tour du monde depuis qu'il s'est retiré de la politique. Et aujourd'hui encore,

c'est cette image, sociale et verte, que la mairie veut promouvoir. Sauf que ces derniers temps, une fois sorti du circuit

touristique écolo que l'on vous commente avec fierté, le « modèle » montre quelques signes d'essoufflement. Les parcs

paysagers, certes immenses et verdoyants en cette fin de printemps, semblent de plus en plus perdus dans une forêt de

béton. Les embouteillages ont envahi le quotidien. Et les files d'attente s'allongent aux Abribus. La-ville-faite-pour-

l'homme-et-pas-pour-la-voiture a du plomb dans l'aile si l'on en croit plusieurs livres récents qui critiquent « le mythe

de la cité modèle ». Luis Fragomeni, architecte et avant-dernier directeur de l'Ippuc, est de ceux qui déplorent « le

manque de vision : on étend la ville, on multiplie les shopping centers. Sur un kilomètre vous en trouvez entre dix et

vingt... Et puis, on ne peut pas s'autoproclamer ville écologique quand 40 % des eaux sales rejetées par les particuliers

ne sont pas traitées. Les rivières sont complètement polluées. Le système de transports est saturé ».

C'est que l'utopie qui avait si bien fonctionné à petite échelle prend de plein fouet LA problématique brésilienne

: une démographie galopante et une ruée vers les villes.

En 1950, le pays comptait 51,9 millions d'habitants, dont 35 % dans les villes.

En 2008, 182 millions et 82 % de citadins. Logiquement, « l'exception » curitibaine vacille.

« Quand nous avons conçu le plan, la population n'excédait pas les 350 000 habitants, reconnaît le nouveau président

de l'Ippuc, Augusto Canto Neto, dans ses beaux bâtiments plongés dans la verdure.

A l'époque, nous pensions que la ville monterait à 500 000 habitants. Mais c'est allé bien plus vite. »

Victime de son succès et de sa belle image, Curitiba n'en finit plus d'attirer de nouveaux arrivants.

La métropole, 3,3 millions d'âmes, enregistre le plus fort taux de croissance du Brésil.

    “Curitiba enregistre 2,5 fois plus de licences

de voiture que de nouvelles naissances, soit plus

     qu'à Brasília, ville conçue pour la voiture.”

Source : web Telerama.fr