Aéronautique exportations en berne et projets stratégiques en cours
La pandémie a précipité l’économie du tourisme dans une crise sans précédent. Selon des estimations de professionnels, le repli entraîné par la crise a atteint les 85%. Au-delà des actions de soutiens directs, celles à même d’amorcer une relance sont attendues de la part de tous les professionnels qui ne savent plus où donner la tête. Dans cet entretien, un connaisseur du secteur, qui n’est autre que le fondateur du Cabinet Chorus Consulting Hospitality & Leisure et membre de l’Alliance des économistes istiqlaliens, Samir Kheldouni Sahraoui, nous livre son analyse :
Hespress Fr : -Le secteur du tourisme traverse la plus mauvaise crise de son histoire. Tous les maillons de la chaîne ont été impactés. Avez-vous une idée sur les pertes du secteur ?
Samir Kheldouni Sahraoui : -Ecoutez ! Tout d’abord je tiens à préciser que le tourisme marocain est un secteur vital pour l’économie marocaine dans la mesure où il génère 7% du PIB à travers les touristes non résidents auxquels s’ajoutent 4 points à travers le tourisme domestique soit au total 11 points de PIB.
La crise persistante conséquente au Covid-19 est donc une catastrophe pour le tourisme marocain, qualifiable de force majeure pour les acteurs, au sens de l’article 269 du Dahir formant Code des obligations et des contrats au Maroc.
Ceci, car, au-delà de la perte économique en recettes pour l’économie marocaine, c’est toute la problématique de l’emploi-tourisme qui est posée, sachant que le secteur emploie près de 2,5 millions de personnes entre emplois directs et indirects. Et ce, sans compter la survenance de conflits juridiques (une vraie problématique sur laquelle le gouvernement est resté silencieux) entre propriétaires et gestionnaires d’actifs touristiques, dans la mesure où les conséquences de la Force majeure deviennent un frein à l’exécution des droits et obligations entre propriétaires et gestionnaires nationaux et internationaux d’actifs touristiques au Maroc.
Par-delà de tels constats, la crise sanitaire vient aussi mettre à nu une sorte d’essoufflement dont souffrait déjà le tourisme marocain bien avant l’avènement de la Covid 19 : désintérêt des gouvernements successifs depuis 2012, insuffisance de cohérence stratégique, mollesse de positionnement de la destination Maroc, promotion obsolète, dispersion, poursuite de la course au nombre de touristes en lieu et place d’objectifs en valeur $, ralentissement de croissance des emplois et recettes, et nous avions au sein de l’Alliance des économistes istiqlaliens, et bien avant la survenance de la Covid 19, tiré la sonnette d’alarme et appelé à la refonte de la stratégie marocaine du tourisme.
Bien entendu, le Maroc n’est pas la seule destination affectée par la pandémie. Le tourisme mondial a enregistré une baisse historique de 74% des arrivées de touristes internationaux en 2020 par rapport à 2019, et la CNUCED ainsi que l’Organisation mondiale du tourisme préconisent qu’entre 2020 et 2021, l’effondrement du tourisme international dû à la pandémie de coronavirus pourrait entraîner une perte de plus de 4.000 milliards de dollars pour l’industrie touristique mondiale.
Le Maroc a toutefois été affecté davantage avec une perte de plus de 85% de ses nuitées de touristes étrangers et locaux en 2020 par rapport à 2019, causant ainsi des dommages considérables à l’ensemble du secteur de l’hôtellerie et des emplois connexes dans le pays.
Malheureusement, 2021 sera pire que 2020, du fait que le premier trimestre 2020 avait enregistré des performances quasi normales. Aussi, j’estime la perte 2021 par rapport à 2020 à 10 points supplémentaires au minimum en espérant que l’éclaircie que connait le secteur en cet été 2021 limitera quelque peu les dégâts.
Pour ce qui est des perspectives de retour aux performances de 2019, les nouvelles ne sont malheureusement pas bonnes.
Selon son dernier sondage auprès des experts mondiaux, publié le 31 mai 2021 par l’Organisation mondiale du tourisme, 85% des experts sondés estiment qu’il n’y aura pas de réelle reprise du tourisme mondiale avant 2023 alors que 50% estiment que le retour aux performances de 2019 n’aura pas lieu avant 2024-2025 voir au-delà. Le chemin est donc encore très long et nous subissons donc effectivement la plus grave crise de l’histoire du tourisme mondial, et ce sera une crise au long cours.
S’agissant du Maroc, et dès avril 2020, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) avait classé le Maroc 7e destination touristique la plus affectée au monde par la pandémie Covid 19 après la Jamaïque, la Thaïlande, la Croatie, le Portugal, la République dominicaine, et le Kenya.
Il est par ailleurs clair que la vitesse de convalescence du tourisme mondial passera par le rythme de progression de la vaccination et le délai d’atteinte de l’immunité collective, elle-même liée à la vaccination de 90% de la population mondiale.
Or, et à juillet 2021, moins de 14% de la population mondiale seulement a reçu deux doses de vaccin. Chez les plus riches, les taux varient entre 15 et 50%, alors que chez les plus pauvres, les taux ne dépassent pas 1 à 5%. Le chemin est donc encore long. L’Afrique quant à elle n’affiche qu’un taux de 1,4% de population vaccinée.
On ne peut donc au Maroc, que se féliciter de la prise en main de Maitre de la situation avec près de 27% de la population vaccinée, ce qui constitue une performance exceptionnelle tant pour la santé de nos concitoyens que pour la convalescence économique dont le tourisme est un maillon fort.
Dans ces conditions et sous réserve d’éclosion de nouveaux variants post Delta, et selon mes projections, le tourisme international ne devrait pas renouer avec les performances de 2019 avant 2025, et, dans la mesure où la précarité de notre infrastructure hospitalière interdit la prise de risque, je ne vois pas comment le tourisme des non-résidents pourrait renouer sous nos cieux avec les niveaux de 2019, avant 2026-2027 voir au-delà. À un rythme de croissance exceptionnelle de 20% l’an à partir de 2022, nous rejoindrions les performances de 2019 en 2028 !
– Comment sortir de la crise ?
-Face à la force majeure, il n’existe malheureusement pas de baguette magique. La pandémie ne connait pas de frontières et toutes les destinations touristiques mondiales sont confrontées au même problème. Aujourd’hui et à mon sens, le prochain gouvernement devra s’atteler à deux chantiers prioritaires. Le premier c’est la sauvegarde de l’emploi et des compétences. Le second c’est la réinvention du tourisme marocain post Covid, car le tourisme de demain ne sera plus jamais celui que nous avons connu jusqu’à aujourd’hui.
À l’avenir les notions de responsabilité et de durabilité dans le tourisme ne relèveront plus du phénomène de mode, mais s’imposeront en tant que pratiques impératives. Toute forme de tourisme basée sur le volume, la masse, la proximité, le rassemblement humain, sera reléguée au second plan.
L’avenir est aux grands espaces, aux prestations en plein air, à la découverte de la nature. Ce sont là d’ailleurs des revirements stratégiques que nous avions recommandés, dans le cadre de l’Alliance des Economistes Istiqlaliens, bien avant la pandémie d’autant qu’il s’agit-là d’une forme de tourisme bien plus rémunératrice que le tourisme dit de masse, où l’on parque des touristes à faible valeur ajoutée dans des hôtels dits All Inclusives, sans bénéfice aucun pour les populations locales
– Quel rôle peut jouer la tutelle ?
-Écoutez, il faut dire que la prudence est de mise et à cet égard, et le gouvernement a eu raison de limiter le risque. Mais la vigilance ne peut se résumer à la seule restriction des déplacements et la fermeture pure et simple et sine die de nos frontières.
L’éclaircie de l’activité touristique que nous connaissons depuis le mois de juillet cette année fera le plus grand bien aux acteurs du tourisme marocain, mais ce sera malheureusement insuffisant dans la mesure où la pandémie est en train de repartir de plus belle au Maroc et hors du Royaume, et il existe de fortes probabilités que le mois de septembre connaitra un retour aux restrictions de voyages.
La tutelle fait donc ce qu’elle peut d’autant que la décision ne lui revient pas seule. Elle doit composer avec les départements de l’intérieur et de la santé qui eux ont la responsabilité de la vie des Marocains. Encore une fois, cette crise touche au plus précieux des hommes, la santé, et donc la vie. Cela dépasse donc le seul département du tourisme.
Il revient toutefois à la tutelle de s’imposer parmi les départements ministériels, d’alerter sur l’importance du secteur pour l’économie, de mettre en œuvre des protocoles sanitaires internationaux labellisés et certifiés, et surtout, comme je l’ai dit plus haut, de préparer la reprise post-covid par la réinvention du marketing mix du tourisme marocain, qu’il s’agisse du produit, (en particulier et dans un premier temps pour le tourisme national domestique qui souffre depuis toujours d’une offre inadaptée au plus grand nombre), de la politique de prix, de distribution ou de promotion.
Pour cette saison estivale par exemple, et alors que sous l’impulsion du Roi Mohammed VI les prix de l’aérien ont été régulés à leur plus bas niveau historique pour l’accès de nos MRE à leur pays, il est constaté que les prix hôteliers destinés aux seuls touristes résidants ont flambés. Il est constaté par exemple qu’il est impossible de trouver une chambre d’hôtel correcte sur notre côte nord du Maroc à moins de 1700 Dhs, sachant que les prix peuvent aller jusqu’à 5000 Dhs, voir 15 000 Dhs sur certains Resorts. Conséquence : seules les catégories socio professionnelles A+ peuvent en profiter. Or, le Maroc n’est pas fait de la seule catégorie socioprofessionnelle A+ . Loin de là. Le droit aux vacances pour tous est un droit universel et cela ne relève pas de la seule responsabilité du secteur privé, mais incombe également à la responsabilité du gouvernement.
Aussi, et à l’instar de l’initiative royale sur l’aérien, une mesure qui aurait pu être envisagée pour booster le tourisme domestique cet été par exemple, n’était pas de lancer une campagne pour inciter les Marocains à voyager (ils ne demandent que cela) mais de prononcer un moratoire sur le libre marché pour une période déterminée (juin à septembre par exemple) avec un encadrement des prix, de sorte à optimiser les taux d’occupation et rendre accessible l’hôtellerie aux classes moyennes.
Ainsi, le prochain gouvernement aura fort à faire sur la question du tourisme domestique national qui reste à inventer, et la démocratisation de l’accès aux vacances dans la dignité et la villégiature. Des concepts et des solutions existent pour cela.
Source web Par : hespress