SAUVER LA TERRE NOUS N\'AVONS NI PLAN B NI PLANÈTE B
Moon secrétaire général de l'Onu dans son bureau dominant New York, au siège des Nations unies, en juin 2015.© Sébastien Micke.
UN ENTRETIEN À NEW YORK AVEC OLIVIER ROYANT ET OLIVIER O'MAHONY
@olivieromahony
Le secrétaire général de l'Onu a fait de la survie écologique son combat pour la planète.
Paris Match. Pensez-vous que laConférence de Paris sera un tournant dans la lutte contre le changement climatique ?
Ban Ki-moon. Oui, j’en suis sûr. Paris ne sera pas la destination finale, il y aura bien d’autres étapes. Mais la conférence permettra d’avancer. Nous voulons signer, pour la première fois dans l’histoire des Nations unies, un accord qui soit global, universel, ambitieux, avec des objectifs à l’horizon 2020, 2030 et au-delà, 2050 pour certains pays développés… Mais pour l’instant l’essentiel est de signer. C’est un préalable nécessaire.
L’objectif principal de la Conférence de Paris est de trouver un accord entre les nations permettant de contenir le réchauffement global à 2 °C. Est-ce réaliste ? Certains estiment qu’on a déjà dépassé ce niveau…
Cet objectif est le fruit de multiples études, établies par plus de 2 000 scientifiques parmi les meilleurs au monde. Leurs travaux ont donné lieu à cinq rapports successifs, tous très clairs, allant dans le même sens : pour maintenir la durabilité de notre planète telle qu’elle est actuellement, il faut trouver les solutions permettant de limiter le réchauffement à 2 °C, sinon les dégâts seront irréversibles.
Comment y parvenir ? Nous sommes à cinq mois de l’échéance…
Aux Nations unies, nous avons deux priorités cette année. La première est de fixer des objectifs de développement durable. Nous y travaillons en ce moment même. Je suis plutôt confiant : je pense que l’engagement réel et soutenu des Etats membres permettra de dégager un consensus dès septembre, à l’occasion du sommet consacré à ce sujet. La seconde priorité pour 2015 est de signer un accord global pour atteindre ces objectifs. Evidemment, le changement climatique ne va pas se résoudre en un ou deux ans. C’est un travail de longue haleine. Si la Conférence de Paris se solde par un accord ambitieux et universel, ce sera beaucoup plus facile de mettre en place un programme d’action efficace.
"A COPENHAGUE, LE DIALOGUE A ÉTÉ INSUFFISANT ENTRE PAYS DÉVELOPPÉS ET PAYS EN VOIE DE DÉVELOPPEMENT"
Copenhague a été un échec. Vous y étiez. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?
Vous vous souvenez peut-être que dans les mois qui ont précédé l’échéance, en 2009, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour marteler qu’il fallait absolument signer un accord. J’espérais que les nombreuses négociations aboutiraient. Je réalise aujourd’hui que les Etats membres n’étaient pas prêts. Je ne donnerai pas de noms. Par ailleurs, le dialogue a été insuffisant entre pays développés et pays en développement.
Et maintenant ?
Nous avons essayé de rattraper le retard. En septembre 2014, j’ai convoqué un sommet sur le changement climatique. Le degré d’implication des gouvernements, des sociétés civiles et des milieux d’affaires sur ce sujet m’a paru encourageant. Lors de la marche pour le climat du 21 septembre 2014, 400 000 citoyens ont défilé à New York. J’étais l’un d’eux. De nombreux leaders, ministres, responsables de premier plan ont défilé aussi. La marche a eu lieu dans plusieurs grandes villes du monde. Des millions de personnes battaient le pavé aux quatre coins de la Terre. Elles disaient haut et fort : “Il est temps de faire quelque chose !”
"J'ESPÈRE QUE LES LEADERS MONDIAUX VONT LANCER DES SIGNAUX FORTS POUR SAUVER LA TERRE"
Etes-vous sûr que tout le monde a conscience des enjeux ?
Oui. Les gens savent. Ils sont unis pour sauver la planète. Les chefs d’entreprise ont compris à quel point le dérèglement climatique peut être mauvais pour les affaires et il y a de vrais efforts, de vraies négociations pour trouver des solutions concrètes et durables. Il est exact que les vingt dernières années de négociations n’ont pas levé tous les obstacles. C’est ma seule inquiétude. J’espère donc que les leaders mondiaux vont, dans les cinq prochains mois, lancer des signaux forts pour sauver la Terre. Nous n’avons ni plan B ni planète B.
Pourtant, la ministre Ségolène Royal a critiqué avec sévérité les négociateurs de l’Onu, leur lenteur, le manque de résultats…
Je partage son inquiétude. Même moi, en tant que secrétaire général des Nations unies, je pense que les négociateurs parlent trop. Les discussions prennent trop de temps. Ça dure depuis vingt ans. Certes, on note des progrès : plusieurs réunions à l’Onu se sont soldées par des engagements officiels. En 2011, à Durban, les Etats membres se sont, pour la première fois, engagés à aboutir à un accord global à l’horizon 2015. Cet engagement a été réaffirmé en 2012 à Doha, puis en 2013 à Varsovie et encore à Lima, l’an dernier. Maintenant, nous y sommes. Il faut respecter les engagements pris et passer à l’acte. Et je dis, de la manière la plus ferme, aux leaders politiques mondiaux : “Donnez des ordres clairs à vos négociateurs pour qu’ils raisonnent au niveau global. Cessez de marchander sur des sujets techniques, voyez au-delà, regardez la situation dans son ensemble.”
Justement, qui défend la planète ? Les dirigeants politiques sont élus pour défendre leur pays avant tout.
C’est vrai que, pour un diplomate ou un négociateur, l’intérêt national est primordial. Mais le changement climatique ne connaît pas de frontières. C’est l’enjeu le plus important de notre époque, une question de survie pour nous tous. On ne négocie pas avec la nature. C’est maintenant qu’il faut agir afin que, à l’avenir, elle puisse continuer à nous fournir ce qu’elle nous donnait jusqu’à présent. On ne peut plus attendre indéfiniment un accord parfait à 100 %. Et c’est à cela que servent les négociations multilatérales. Chacun arrive avec ses priorités mais, après un débat, un compromis est trouvé au niveau des Nations unies. C’est pour cette raison que je demande aux chefs d’Etat et de gouvernement de faire preuve de leadership. Ils doivent démontrer une vraie volonté politique.
"METTRE EN ŒUVRE DES SOLUTIONS PROPRES EN CARBONE PERMETTRA DE LUTTER CONTRE LA PAUVRETÉ DANS LE MONDE"
De nombreux pays en voie de développement, comme la Chine ou l’Inde, sont les premiers à souffrir du dérèglement climatique. Ils redoutent pourtant que des mesures trop radicales sur les émissions de gaz à effet de serre ne nuisent à leur croissance industrielle. Lutter contre le réchauffement et la pauvreté dans le monde, est-ce compatible ?
Oui, c’est compatible. En réalité, le dérèglement climatique pèse sur la croissance. Si la pauvreté dans le monde n’a pas été éradiquée aussi rapidement que nous l’aurions souhaité, c’est précisément à cause de l’impact des dégradations environnementales. Tous les experts me disent que la planète a de quoi nourrir les 7 milliards de personnes qui la peuplent. Néanmoins, aujourd’hui, près de 1 milliard d’entre elles s’endorment la nuit en ayant faim. Pourquoi ? A cause du changement climatique qui affecte l’agriculture et les systèmes de livraison dans les économies concernées. Donc, mettre en œuvre des solutions propres en carbone permettra de lutter contre la pauvreté dans le monde. C’est un objectif central, aux conséquences multiples, qui se répercutent à tous les niveaux.
Parlons des Etats-Unis et de la Chine. Rien ne peut se faire sans ces deux pays. Doivent-ils s’engager davantage ? On a l’impression qu’ils s’observent. Tout se passe comme si l’un attendait que l’autre avance pour progresser de son côté…
Leur déclaration commune de novembre dernier [par laquelle ils s’engagent à signer ensemble un accord lors de la Conférence de Paris et à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre] me paraît historique : elle prouve qu’ils prennent le sujet très au sérieux. Elle montre la voie à suivre.
"L'ENGAGEMENT D'UNE GRANDE NATION COMME L'INDE EST UN SIGNE TRÈS FORT POUR LA CONFÉRENCE DE PARIS"
Vraiment ? En France, on est moins optimistes que vous.
L’Union européenne est très avancée. Elle a annoncé pour 2030 un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, grâce au développement des énergies renouvelables, qui devront représenter 27 % du total de l’énergie utilisée à cet horizon. Mais la Chine et les Etats-Unis font aussi de gros efforts, qui ont un réel impact sur le processus. L’Inde est également très engagée dans la reconversion de son économie en énergie renouvelable. J’ai rencontré le Premier ministre indien, Narendra Modi, en mai. Il m’a dit que son pays investit massivement pour atteindre une capacité de production d’électricité solaire de 100 gigawatts en 2022. Qu’une grande nation comme l’Inde s’engage à ce point est un signe très fort pour la Conférence de Paris.
En tant qu’autorité morale, quel est votre rôle ? N’avez-vous pas envie de frapper un grand coup, de dire aux leaders mondiaux qu’il est temps d’agir ?
Depuis le début de mon mandat, j’ai beaucoup voyagé pour aller constater les dangers environnementaux qui nous menacent et tirer les sonnettes d’alarme. J’ai rencontré le Pape en avril, à Rome. Il m’a dit qu’il allait rendre une encyclique sur le changement climatique en juin, ce qu’il a fait. J’espère que cet appel aura un impact profond sur les catholiques et au-delà.
"J'AI CONSTATÉ PAR MOI-MÊME LES RAVAGES DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE. EFFRAYANT"
De quoi pouvez-vous personnellement témoigner ?
Le réchauffement climatique est une réalité. Ça se passe sous nos yeux. Au Kilimandjaro, la neige a disparu à son sommet. Ce que j’ai vu en mer d’Aral, en Ouzbékistan, m’a effrayé. Autrefois, c’était une immense étendue d’eau. Maintenant, c’est du sable et du sel, avec des bateaux échoués. En hélicoptère, il fallait être très haut pour éviter que le sable et le sel n’affectent le rotor. Pareil au lac Tchad, que j’ai survolé pendant quarante minutes à bord d’un hélico français. Je n’ai pas vu d’eau. Que du sable. Le lac a rétréci de 90 %. Je ne pouvais pas en croire mes yeux. J’ai constaté par moi-même les ravages de la déforestation en Amazonie et en Indonésie. L’an dernier, j’ai visité le Groenland sur un petit bateau. J’avais les pieds gelés à force de regarder, une heure durant, ces centaines d’icebergs en train de disparaître. J’étais sidéré. Je vais bientôt retourner au pôle Nord et monter à bord d’un brise-glace, avec l’aide du gouvernement norvégien. J’irai le plus loin possible dans l’océan Arctique pour voir le paysage qui s’est dégradé depuis mon premier passage, il y a huit ans.
Tout cela ne vous déprime pas un peu ?
Non, cela me donne envie de crier aux gens : “Réveillez-vous !” Je n’ai pas le temps d’être déprimé. Je suis un optimiste.
On célèbre cette année le 70e anniversaire des Nations unies. A l’origine, l’institution a été créée pour maintenir la paix dans le monde. Or, vous dites que le combat du siècle, c’est sauver la planète. Vous sentez-vous toujours utile ?
Je suis conscient des critiques dont nous faisons l’objet, mais je pense que les Nations unies ont réussi à éviter de nombreuses guerres. C’est leur mission d’origine et, sans nous, le sang aurait coulé bien davantage, le monde serait plus tragique.
Mais il y a eu des génocides. Le Rwanda, Srebrenica…
Les Nations unies sont là pour éviter que ces drames ne se répètent. J’ai pris les mesures nécessaires, nommé un envoyé spécial pour la prévention des génocides. Aujourd’hui, nous sommes mieux équipés pour lutter contre ces drames. L’institution a été réformée en profondeur dans son mode de management, et elle est aujourd’hui beaucoup plus efficace. Nous avons déployé 125 000 Casques bleus dans seize zones. Nous avons sorti au moins 500 millions de personnes de la pauvreté. Nous avons permis à des dizaines de millions de personnes de ne pas mourir de maladies prévisibles, grâce à nos Objectifs du millénaire pour le développement [OMD]. Pour moi, c’est ça, la réussite principale des Nations unies. Et pourtant, il faut faire encore plus.
"MON JOB, C'EST DE TRAVAILLER POUR LE BIEN DE L'HUMANITÉ"
Vous êtes grand-père de trois petites-filles. Quel monde voulez-vous leur laisser ?
Mon job, c’est de travailler pour le bien de l’humanité. C’est la responsabilité morale de tous les leaders politiques actuels. Pour la nature, les frontières ne sont que des limites administratives. L’environnement nous a adressé un signal d’alarme, qui nous rappelle que nous vivons dans un monde interconnecté. Ce qui compte, désormais, c’est de penser et d’agir au niveau planétaire, de coopérer avec les autres. Je dis aux jeunes : “Soyez un citoyen global. Agissez avec passion et compassion. Si vous êtes passionné sans être compatissant, vous risquez d’aller au-devant de difficultés.” Combiner ces deux qualités, c’est la meilleure attitude à adopter dans le monde actuel.
Brice Lalonde dit que chaque pays devrait avoir un ministre de la Planète…
Pourquoi pas ? On a besoin de leaders mondiaux, qui s’intéressent aux enjeux planétaires au lieu d’être focalisés sur leurs intérêts domestiques. Je leur dis : “Cessez d’avoir le nez sur la prochaine élection. Ne soyez pas l’otage de votre électeur. Sortez du court terme.” C’est ça, être un leader.
Le 29 Juillet 2015
SOURCE WEB Par Paris Match
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