Il faut une équipe gagnante pour Ouarzazate
Almaouja.com lance une série d'entretiens sur le thème : quel avenir pour Ouarzazate ? A chacune des personnalités interrogées, il sera demandé une idée forte et innovante pour renforcer le développement de la ville. Au terme de ces interviews, une synthèse présentera les différents regards ainsi que les propositions innovantes. Aujourd'hui, écoutons Pierre Katrakazos.
Pierre Katrakazos est une des figures emblématiques de Ouarzazate. Sa personne est rattachée au nom de son père, le grec Dimitri, tout comme au restaurant du même nom qui a remplacé l'ancienne épicerie au centre de la ville, au supermarché qui lui fait face, ou bien à l'association Horizon des handicapés qu'il préside depuis sa fondation en 1994. Né à Marrakech, il a passé toute sa petite enfance à Ouarzazate dans ce qui était alors la seule ville du Sud Est. Une enfance heureuse dans ce grand terrain de jeu entre les casbahs et les bords verdoyants d'un oued toujours généreux. Il quitte Ouarzazate et poursuit ses études à Casablanca puis en France où il entame une carrière d'enseignant à l'université de Nice tout en exerçant des missions de consultant auprès de la Commission européenne. C’est en 1987 qu’il revient à Ouarzazate pour s'occuper de son père alors malade et à son décès, il reprend l'affaire familiale, s'installe définitivement sur les terres de son enfance, assumant sans regret ce changement de vie. A 55 ans, il pose sur Ouarzazate un regard sévère, mais un regard attendri et fidèle, certain d'avoir trouvé ici les plus belles années de sa vie.
Almaouja.com – Ouarzazate va-t-elle pouvoir devenir un jour une vraie cité ?
Pierre Katrakazos - Pour bien répondre à cette question, il faut prendre en considération une réalité : Ouarzazate a toujours perdu ses meilleurs éléments. Les meilleurs élèves du lycée s'en vont, les meilleurs futurs ingénieurs s'en vont, les meilleurs futurs médecins, les meilleurs entrepreneurs... Tous, une fois leurs études finies, voient leur avenir ailleurs. Ouarzazate ne peut pas les accueillir. Amputée des deux récentes provinces, Zagora et Tinghir, Ouarzazate se retrouve avec un tout petit territoire, sans véritable économie si ce n'est le tourisme, un embryon minier, un peu de cinéma qui d’ailleurs ici n'a fait rêver personne. Les élus en responsabilité ne sont pas eux-mêmes de Ouarzazate. Il n’y a donc pas une équipe Ouarzazate, une équipe gagnante soudée autour d’un sentiment d’appartenance à un territoire. Tout cela fait que Ouarzazate vit encore l'intérêt général comme la somme des intérêts particuliers. Quand les ouarzazi vont prendre conscience de l'intérêt général, les choses vont pouvoir changer.
Almaouja.com - L'histoire de Ouarzazate n'est-elle pas la raison de son problème ?
PK - Il y a comme une double séquelle dans l’histoire de Ouarzazate. La première, la plus importante, est celle de son passé colonial qui fait que la population s'est figée dans une position d'ostracisme. Il suffit de voir les trois ensembles historiques, Taourirt, Tassoumate et Tabount qui sont restés là, entre eux, sans réelle dilution dans ce qui pouvait devenir une cité. Les autres quartiers se sont agglutinés dans le temps avec cette même logique de clan. Le quartier Douar Chams a été donné aux familles du barrage, à l'époque où le lac a été créé. Les urbanistes n'ont finalement pas pensé la croissance de la ville. Il n'y a jamais eu de politique urbaine véritable. Il n'y a pas de centre urbain, pas de jardins, pas de parcs, pas de toilettes publiques. La nouvelle place qui a été construite n'a même pas d'ombres, pas de végétation. Tous les arbres sont remplacés par des palmiers qui ne sont que décoratifs et ne donnent pas d’ombre. Dans une ville de soleil, c’est un comble.
La deuxième séquelle est que Ouarzazate a toujours été un couloir au travers duquel on passe. C’est un couloir, mais c’est aussi un carrefour, ce qui aurait pu être un formidable atout. Les chemins ont toujours bifurqués par ce croisement qui est Ouarzazate mais pour ensuite aller ailleurs.
Almaouja.com - Mais pourquoi cette inertie à faire changer la ville ?
PK - Il n'existe pas encore une communauté Ouarzazate. Il faut que le ciment de cette société se fasse avec les ouarzazi, entre eux. Les jeunes ne sont pas satisfaits, ils sont nombreux à chercher à partir. Et en effet, ce qui est proposé à la jeunesse reste limité : trouver un métier rémunérateur et fonder une famille. Manifestement en 2012, cela n’est pas suffisant pour tout le monde et cela demande un sens du sacrifice certain pour se satisfaire de ce plan de vie.
Almaouja.com - Quel développement économique pourrait voir le jour à Ouarzazate ?
PK - Tout ce qui a été fait autour du tourisme en matière d'initiative privée, comme les maisons d'hôtes, les gîtes ruraux, a fait du bien et pourrait encore se développer. Des auberges, des petits musées, des bivouacs ... Cependant, le problème de l’enclavement géographique est le plus important. Ouarzazate ne pourra se développer sans un accès routier facilité avec Marrakech qui restera toujours le point d'arrivée des touristes, tout comme Ouarzazate restera toujours un lieu d'excursion. Ceci dit, pour parvenir à créer du séjour attractif à Ouarzazate, il y a encore du travail à faire. Comment provoquer des séjours de longue durée à Ouarzazate ? En réalité, il n’y a pas grand-chose à faire dans la ville elle-même et l'offre touristique en général stagne depuis vingt ans. Le touriste de passage ici s'ennuie, comme le ouarzazi.
La crise actuelle aura du bon
Almaouja.com - Qu'est ce qui pourrait être le déclic salvateur pour engager la ville vers son développement ?
PK - Je pense que la crise actuelle aura du bon. La jeunesse d'aujourd'hui est acculée à rester à Ouarzazate et d'y faire son avenir car les ailleurs sont devenus bouchés. Et seuls les jeunes peuvent réussir à faire bouger Ouarzazate dans le bon sens, notamment dans le domaine de la vie culturelle. Il faut leur laisser l'initiative et les accompagner dans leurs projets, leur donner les moyens de faire ce qu'ils veulent et leur donner des conseils. L'élite de Ouarzazate doit comprendre cela et donner sa place aux jeunes.
Almaouja.com - Le grand programme de régionalisation au Maroc peut-il être une chance pour Ouarzazate ? Une possible future région autour de Ouarzazate ne créerait-elle pas l'élan attendu pour engager la mobilisation de tous les ouarzazi dans ce projet collectif ?
PK - Notre région est déjà une zone défavorisée et Ouarzazate a peu de chance de devenir la future Wilaya. Personne ne porte vraiment cette candidature régionale et il est facile d'imaginer qu'une fois Errachidia nommée chef-lieu de la future région, il lui faudra plusieurs années pour se développer elle-même. Encore moins de crédit parviendront directement à Ouarzazate et la ville soit stagnera encore, soit déclinera.
Si Ouarzazate pouvait devenir la capitale de la future région, ce serait magnifique
Almaouja.com - Ce défi de devenir capitale régionale ne pourrait-il pas être le déclic attendu ?
PK - Si Ouarzazate pouvait devenir la capitale de la future région, ce serait magnifique. Mais la prise de conscience de ce défi me semble absente et je crains que les dés ne soient déjà jetés. Les avantages de Ouarzazate sont pourtant réels. L'aéroport, les infrastructures, le palais des congrès... Il a manqué et il manque un lobbying des élus pour porter ce projet.
Almaouja.com – Dans ces conditions, il vous est alors difficile d'imaginer ce que pourrait être un futur Ouarzazate ?
PK - Il me semble en effet qu'il y a vingt ans, nous étions plus en avance que maintenant. Je me souviens du palais des congrès qui avait une vraie activité, le club Med et son golf qui attirait alors des personnes en séjour à Ouarzazate. Les crises mondiales sont passées par là et Ouarzazate n'a pas eu d'éléments moteurs qui auraient pu lui permettre de passer au travers des problèmes.
Almaouja.com - Pour terminer, quelle proposition innovante pourriez-vous faire pour soutenir le développement de Ouarzazate ?
PK - Je pense qu’il faudrait créer une sorte de comité scientifique pour Ouarzazate. Un regroupement de personnes compétentes, expérimentées, de Ouarzazate et d'ailleurs, pour proposer un accompagnement, un cadre de conseils, voire même des soutiens à tous les projets qui participent à l'essor de la ville, qu'ils soient des projets publics ou bien privés. Et bien entendu, les premiers bénéficiaires de ce comité conseil doivent être les jeunes de Ouarzazate car l'avenir de la ville est réellement entre leur mains. Cette idée, je compte la proposer à la fondation Grand Ouarzazate et j’espère qu’elle verra le jour car c’est notamment le seul moyen pour les étrangers, comme moi, d’apporter leur part à l’ouvrage commun en accompagnant avec bienveillance les initiatives des jeunes. C’est surtout le meilleur moyen d’encourager celles et ceux qui vont construire le Ouarzazate de demain, c’est-à-dire les ouarzazi eux-mêmes. Créé le vendredi 31 août 2012 14:19
Écrit par la rédaction
SOURCE WEB Revue de presse Almaouja.com