Comment le Ramed a mis sous tension la santé publique
Les plus pauvres ne bénéficient pas tous de cette couverture médicale
Financement, qualité des soins, pénurie de médicaments et de consommables... les boulets
L’ONDH propose des mesures d’urgence
Après le rapport de la Cour des comptes et les multiples questions orales posées au ministre de tutelle au Parlement, l’Observatoire national du développement humain (ONDH) s’y met aussi. Cet organisme, jadis présidé par Rachid Belmokhtar, a livré hier les premières conclusions de son évaluation du Ramed. C’est la généralisation de ce système de couverture médicale pour indigents en 2012 qui passe à la trappe. Cette opération n’avait pas pris en compte les résultats du bilan de l’expérience pilote effectuée dans la région de Tadla-Azilal. Pourtant, ce travail aurait pu conduire à un réajustement du système. En tout cas, cette évaluation a fait ressortir plusieurs conclusions dont l’une a trait au ciblage qui «n’assimile malheureusement pas les plus pauvres», selon le document.
En effet, en 2015, seuls 27% des ménages vivant sous le seuil de pauvreté relative étaient effectivement affiliés au Ramed. Car, le mécanisme, choisi par cette couverture, reliant les critères d’éligibilité aux caractéristiques socioéconomiques des ménages, présente quelques faiblesses comme notamment la contribution exigée aux populations vulnérables, l’obsolescence de certains critères d’éligibilité ou l’effet de seuil lié à la définition des scores socioéconomiques. En milieu urbain, ce seuil peut exclure la moitié de la population du Ramed sans réelle modification de son statut socioéconomique, note le document.
L’autre conclusion de l’évaluation concerne «le système de financement qui est toujours problématique». En effet, selon l’ONDH qui cite une étude de 2013, les flux financiers destinés au Ramed étaient estimés à 5,35 milliards de DH. Cette enveloppe est jugée incertaine en raison de la variabilité de la population cible et des «problèmes persistants de gouvernance financière». Surtout que les hôpitaux sont confrontés à une diminution de leurs ressources au moment où leur activité augmente, sollicitée par l’afflux grandissant des patients affiliés au Ramed. «Or, la charge réelle que représente cette population pour les hôpitaux n’est pas couverte, ni comme prévu à l’origine par un fonds de financement externe ni par la subvention d’exploitation accordée aux hôpitaux. Ces établissements sont contraints de puiser dans leurs ressources propres au détriment de leur budget d’investissement», indique le rapport.
Effets inattendus sur l’organisation
Les auteurs de ce document sont revenus sur les conséquences de la généralisation du Ramed qui a indirectement mis sous tension le système de santé publique. En effet, celle-ci a eu des effets inattendus sur l’organisation et la qualité des soins. Une dégradation du système public touche tout le monde, ceux affiliés au Ramed comme les autres. Le personnel hospitalier est appelé à fournir davantage de prestations de soins sans que les ressources n’enregistrent de hausses significatives. Une situation qui augmente les risques de pénurie des médicaments et des consommables. La pression sur le matériel conduit à des pannes régulières et parfois à l’indisponibilité des plateaux techniques, ce qui pousse le personnel à faire diriger la population vers le secteur privé. Dans le lot, on enregistre la fuite des patients solvables vers le secteur privé.
Ce qui conforte la démarcation entre «deux systèmes de santé, le public, paupérisé, le privé, bien équipé».
Autre conclusion: les points gagnés sur les inégalités d’accès aux soins commencent à s’effriter. L’effet initial en 2012 s’est progressivement atténué entre 2013 et 2015, avec une baisse du taux de consultation des «ramédistes» pauvres de 75 à 64,8% et de 70,2 à 60% pour les vulnérables. Pour les auteurs du rapport, cette perte d’effectivité du Ramed s’explique par l’augmentation des coûts indirects comme notamment le transport et l’hébergement, liés aux situations d’attente vécues par des patients peu informés sur les procédures des filières des soins et le niveau élevé des paiements directs. En 2015, cela représentait respectivement 34% des dépenses mensuelles de consommation des ménages pauvres urbains et 74,5% de celles des ménages pauvres ruraux.
Reste que l’ONDH ne se limite pas à lister les insuffisances. Il propose également des mesures urgentes en vue d’améliorer la performance et assurer la pérennité du Ramed. La plus importante a trait à la stabilisation et à la sécurisation des ressources financières dédiées à ce système. Ainsi, «le législateur doit définir des mécanismes pérennes de financement qui alimenteront une rubrique budgétaire propre au Ramed. Ses modalités de gestion devront assurer l’adéquation des ressources mobilisées avec le service médical proposé», est-il indiqué. L’autre mesure recommandée est la mise en place d’un organisme gestionnaire, répondant aux principes de bonne gouvernance d’un régime de couverture maladie et mettant en œuvre la politique de tarification et de remboursement définie par le législateur. L’Observatoire s’est également attaqué à l’amélioration de l’organisation du système de soins selon une approche intégrée et participative. Il s’agit d’aider au mieux l’offre de santé de chaque région avec ses spécificités propres. Cette offre s’articulera autour de structures hospitalières remises à niveau, bénéficiant des apports des nouvelles technologies et de système de transport plus performant. Il en découlera un service médical de meilleure qualité, pérennisé grâce au rétablissement de la solvabilité financière des établissements sanitaires. Ce dispositif sera accompagné par la mise en place d’un système d’information et de gestion intégré en vue d’assurer l’enregistrement et la maîtrise de la consommation médicale prescrite en milieu hospitalier et dans les centres de soins. Ce qui permettra de favoriser le partage de l’information et facilitera l’instauration d’un cadre de suivi-évaluation des objectifs fixés au Ramed.
Cohésion sociale
Le total des dépenses du Fonds d’appui à la cohésion sociale a atteint 9,3 milliards de DH au cours de la période allant de 2014 à 2017. Sur ce montant, le Ramed occupe la première place avec une moyenne de 52% de ses dépenses (4,8 milliards de DH). Il est suivi par les deux programmes destinés à la lutte contre l’abandon scolaire, que sont Tayssir et le Million de cartables, avec une enveloppe globale de 3,2 milliards de DH (soit 34%). Le soutien aux veuves, qui représente 11% de ces dépenses, a augmenté passant de 196 millions de DH en 2015 à 588 millions en 2017. Il faudra prévoir les financements nécessaires face à l’augmentation du nombre des femmes bénéficiaires de ce programme. Le nombre de veuves bénéficiaires qui était de 30.406 en 2015 a atteint 80.262 en 2017. Le programme d’appui aux personnes en situation de handicap a progressé, particulièrement pour encourager la scolarisation des enfants handicapés. Les montants ont suivi, passant de 44 millions de DH en 2015 à plus de 97,6 millions en 2017, au profit de 8.721 enfants répartis sur 213 associations.
Le 23 Juillet 2018
Source Web : L’économiste