Scandale immobilier: Tamrabet, ou comment 535 acquéreurs ont été floués
Le programme Playa Vista a viré au cauchemar
Le promoteur en fuite et le chantier à l’arrêt
D’autres projets lancés sous couvert de la Vefa, défaillants dans la région
Le site de Playa Vista où une première tranche d’une vingtaine d’appartements a été finalisée. Le chantier est à l’arrêt depuis plus d’une année (Ph. Adam)
Des grues oxydées, un monticule de briques et des pelles cassées, c’est ce qui reste du chantier de Playa Vista, à Tamrabet, à quelques encablures de Oued Laou. Le projet, à l’abandon, sert de refuge à quelques chèvres, faute d’ouvriers. Ces derniers, suivis par le gardien, ont déserté les lieux depuis belle lurette à défaut d’être payés. «Cela fera bientôt plus de deux ans que le chantier est à l’abandon», raconte Said, un des jeunes des environs, occupé à jouer au ballon sur celle que l’on considère comme l’une des plus belles plages de la région.
La beauté des lieux et le calme, c’est ce qui avait d’ailleurs charmé les 535 acquéreurs de ce projet en 2006. Playa Vista est situé sur une falaise surplombant la plage de Tamrabet, une belle étendue de sable dans un recoin sauvage de la côté tétouanaise. A une vingtaine de kilomètres de Oued Laou, il s’agit de l’endroit idéal pour s’évader et fuir le stress quotidien. A partir de 50.000 livres sterling de l’époque, (l’équivalent de 750.000 DH), le promoteur, ‘Playa Vista Primera’ promettait un appartement avec vue imprenable sur une plage presque sauvage. La livraison était prévue pour 2009. Pour beaucoup, c’était l’occasion à ne pas rater pour y investir les économies de toute une vie, une tentation à laquelle ont succombé des centaines de clients de différents pays dont la France, l’Angleterre et le Maroc. Mais la suite des événements n’aura rien de paradisiaque pour eux.
Le projet a commencé à accumuler les retards, se rappelle Jean-Claude Azzopardi, l’un des acquéreurs, avant que le 5 septembre 2008 les autorités n’interviennent pour arrêter net le chantier. «La densité est trop élevée, avaient affirmé les autorités de la région», se rappelle-t-il, furieux, celles-là même qui avaient délivré le permis de construction deux années auparavant, en 2006. Ce qui est sûr, c’est que les plans ont été revus et passent d’une occupation au sol de 72% à moins de 18%, la norme pour ce type de projets, se rappelle un responsable communal à l’époque. «Entre-temps, Playa Vista avait déjà vendu la totalité des appartements, soit à peu près 585 unités», continue Azzopardi. Avec cette densité, il ne sera plus possible de caser tout le monde. Lui-même, sous le charme de la région, pensait pouvoir y installer un pied à terre, tout en croyant faire un bon investissement.
Le promoteur, voulant faire pression sur les autorités marocaines, envoie en novembre 2008 un email laconique annonçant l’arrêt des travaux sans raison et demande aux clients d’intervenir auprès des Autorités marocaines et ambassades des pays respectifs. Finalement, l’espoir de voir les délais tenus part en fumée avec l’arrivée d’une lettre de Playa Vista Primera en août 2009 annonçant le report de la date de livraison à janvier 2011.
Lors d’une réunion entre les clients et les dirigeants de Playa Vista, Richard Pagett et Robert Knight à Tanger en août 2009, ces derniers n’avancent aucune raison quant à l’arrêt des travaux et écartent toute possibilité de remboursement.
Le site était idyllique, mais les retards dans la construction ont fini par sonner le glas du projet Playa Vista (Ph. Adam)
A l’époque, le promoteur semblait être dans une impasse, au vu des emails échangés avec ses clients, dont L’Economiste détient copie. Il avait proposé aux acheteurs, dont la plupart avaient avancé de fortes sommes d’argent, des formules du genre Time-Sharing, pour pouvoir sortir de l’impasse, ce que ces derniers refusent. Malgré les retards, Playa Vista continue de demander à ses clients de s’acquitter du reliquat du prix d’achat, se rappelle Jean-Michel Buono, un autre malheureux client du projet. D’autres clients recevront en 2012 une lettre les informant que compte tenu de la réduction de la densité, leurs appartements pourraient également rétrécir. Face au refus catégorique des acquéreurs qui avaient payé le prix fort, le promoteur est obligé d’acquérir un terrain mitoyen, ce qui ne semble pas le sortir d’affaire.
Les travaux avancent tant bien que mal avant l’arrêt total en 2014. Depuis, les plaintes contre les promoteurs se sont accumulées. Certaines ont été jugées mais aucune jusque-là n’a été exécutée.
Ce qui devait arriver, arriva. La société en charge du projet, Playa Vista Primera met la clé sous la porte et ferme son siège à Tanger, ses responsables n’ont pu être joints par L’Economiste. Selon plusieurs sources, l’un des associés du projet aurait fui le pays et se serait installé en Espagne, l’autre serait encore au Maroc en état de fuite.La société avait quand même réussi à sortir de terre un premier groupe d’appartements, une vingtaine, mais c’était peu pour pouvoir contenter les centaines de clients floués par ce projet. Depuis l’affaire des Panama papers, certains sont même sûrs que leur argent est quelque part dans un paradis fiscal. Surtout que le siège de la société gestionnaire du projet Playa Vista se trouve à Barbados et que l’avocat ayant rédigé les contrats, lui, se trouve au Canada. Et c’est d’ailleurs l’un des points sur lesquels plusieurs clients entendent attaquer les promoteurs du projet. La loi marocaine oblige en effet à ce que tout projet «Vente en l’état futur d’achèvement» (Vefa) soit rédigé par un notaire ou un avocat marocain, ce qui n’a pas été respecté et annule l’opération de vente.
Les clients qui ont organisé un réseau de veille pour suivre le déroulement de l’affaire en France et en Angleterre ainsi qu’au Maroc, se posent la question de savoir ce qui est arrivé avec les fonds récoltés par l’entreprise, quelque 400 millions de DH, selon une première estimation. Mais la question qui les taraude est de savoir si, un jour, ils pourront récupérer leurs avances.
Paradise Beach, le projet de la honte
Depuis quelques mois, le projet Paradise Beach ne cesse de défrayer la chronique. Les acquéreurs de ce projet immobilier ont encore tenu une manifestation devant le siège de l’Ambassade du Maroc à Londres. Ils demandent l’intervention directe du Chef de l’Etat pour les aider à retrouver leur mise ou accélérer les travaux. Leur mobilisation semble avoir donné ses fruits. Déjà, lors d’une première manifestation en janvier dernier, ils avaient réussi à enclencher une procédure judiciaire et à arrêter le promoteur, Larbi Tadlaoui. Plus encore, une timide reprise des travaux a été constatée sur les lieux. Mais depuis quelques semaines, les travaux ont semble-t-il stoppé, selon les acquéreurs d’où une deuxième manifestation, tout aussi virulente. Paradise Beach Golf Resort (PBGR) a été lancé en 2006 sur la côte atlantique.
Il devait compter un parcours de golf de 18 trous, piscines et environ 400 appartements et villas avec vue sur la plage. Des investisseurs étrangers de différents pays dont la France et l’Angleterre ont versé des acomptes pour réserver un appartement ou villa. A titre d’exemple, un studio était offert à l’époque à 67.000 euros, environ 740.000 DH. Selon un groupement d’acquéreurs, le montant total des sommes versées pourrait atteindre les 45 millions de livres sterling, soit à peu près 635 millions de DH. La construction et l’aménagement paysager de PBGR a commencé en 2007 avec la garantie pour les investisseurs que tous les permis de construction, autorisations et fonds de développement étaient en place, selon l’un des acquéreurs. L’achèvement du projet était prévu en 2010. En 2012 la construction a été sérieusement retardée. Les clients devaient recevoir des promesses de livraison pour mars 2014, il n’en a rien été.
La Vefa, principal accusé
La Vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) est, selon plusieurs opérateurs du secteur, la principale responsable d’une bonne partie des incidents enregistrés dans le secteur immobilier. Conçue au départ pour permettre à l’opérateur de financer l’avancement des travaux par l’apport des clients, elle a provoqué maints dérapages. En effet, certains promoteurs se contentent de dresser un contrat préliminaire avec des noms vagues comme contrat de réservation ou autre sans le faire authentifier par un professionnel autorisé, le plus souvent un notaire. La loi est claire à ce sujet et estime tout contrat non rédigé de la sorte comme nul, selon l’article 618 du Code des obligations et contrats.
Le 02 Mars 2016
SOURCE WEB Par L’économiste