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Entretien avec Fatema Marouane, ministre de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire La Vision 2015 vise la création de 115 000 emplois

Entretien avec Fatema Marouane, ministre de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire    La Vision 2015 vise la création de 115 000 emplois

Fatema Marouane Ministre de l’Artisanat et de l’économie sociale et solidaire.
L’artisanat est un secteur économique à part entière, qui dispose de ses propres mécanismes de développement, compte tenu de ses spécificités et de son potentiel en termes de création d’emplois et de revenus pour une large tranche de la population.
Le Matin Emploi : Pourriez-vous nous faire une brève synthèse de la Vision 2015 en ce qui concerne le volet Emploi ?
Fatema Marouane
: Concernant le premier volet de cette question, il est nécessaire de rappeler que le secteur de l’artisanat, à fort contenu culturel, s’est doté d’une stratégie nationale, appelée «Vision 2015», dont le contrat programme a été signé le 20 février 2007,
sous la Présidence effective de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu le glorifie.
La priorité majeure de cette Vision est la création d’emplois, mais elle a également comme ambition d’augmenter le chiffre d’affaires du secteur, de multiplier le volume des exportations directes et indirectes, et de créer un tissu d’entreprises dynamiques.
En termes chiffrés, il s’agit de créer 300 PME, dont 10 à 20 acteurs de référence, et 115 000 postes d’emplois, de doubler le chiffre d’affaires de l’artisanat à fort contenu culturel, de multiplier par 10 les exportations, et de former 60 000 lauréats.
Et pour atteindre ces objectifs, il a fallu définir les axes d’intervention suivants, c’est-à-dire la création d’un tissu d’entreprises dynamiques à travers l’émergence d’entreprises d’envergure et le développement de petites et moyennes entreprises structurées, l’amélioration des revenus des monoartisans, l’amélioration de la qualité du produit et son adaptation aux besoins du marché, la mise en place d’un système de formation de qualité, l’amélioration des conditions de vie des artisans et la promotion de nouveaux outils et mécanismes de financement des activités artisanales.
La Vision 2015 s’appuie également sur une politique de promotion d’envergure, visant à construire une image d’excellence pour l’artisanat du Maroc auprès des marchés ciblés, et à introduire les produits artisanaux dans les réseaux de distribution modernes. Elle s’articule aussi autour de mesures d’appui transversales au profit des différents acteurs du secteur qui portent essentiellement sur les volets labellisation et formation professionnelle.
Pour ce qui est du 2e volet de la question, tout d’abord, il y a lieu de préciser que le secteur de l’artisanat est un secteur économique à part entière, qui dispose de ses propres mécanismes de développement, compte tenu de ses spécificités et de son potentiel en termes de création d’emplois et de revenus pour une large tranche de la population. À rappeler que le secteur de l’artisanat, toutes composantes confondues, à savoir l’artisanat à fort contenu culturel, l’artisanat utilitaire et l’artisanat de service, emploie environ 2,3 millions d’artisans.
J’insiste sur le fait que la création d’emplois est au cœur de la Vision 2015, et elle en constitue l’un des objectifs stratégiques. D’ailleurs, les Plans de développement régionaux de l’artisanat (PDRA), outils de déclinaison territoriale de la stratégie nationale, se sont tous fixé des objectifs en matière d’emplois étalés sur 5 ans, se basent sur des diagnostics réalisés au niveau de chacune des régions ciblées et tiennent compte des spécificités ainsi que des potentialités dont elles regorgent. Et afin de réaliser les objectifs fixés, des feuilles de route basées sur des plans d’action concrets ont été établies.
Notons dans ce cadre que les axes de ces plans d’action touchant au volet emploi sont nombreux. Je cite à titre d’exemple l’axe création d’un tissu d’entreprises dynamiques avec ses deux composantes, celle relative à l’Émergence d’acteurs de référence et celle concernant la structuration et le développement des petites et moyennes entreprises, ou encore l’axe création d’espaces de production/commercialisation dont les zones d’activités artisanales, de même que l’axe formation professionnelle, qu’il s’agisse de la formation résidentielle ou de la formation par apprentissage.
Concrètement, quelles sont les mesures initiées par votre département pour booster le marché du travail ?
Le ministère a adopté une démarche basée sur les 4 piliers suivants :
• Le 1er pilier est le développement global du secteur qui est à même de pérenniser l’emploi, et qui touche toute la chaîne de valeur des filières allant des matières premières, à la production, à la promotion et à la commercialisation.
• Le 2e pilier est l’amélioration de l’attractivité du secteur auprès des jeunes et des chercheurs d’emploi, notamment ceux qui n’ont pas pu poursuivre leur cursus scolaire. Dans ce cadre, nous nous sommes attelés à créer et à promouvoir la Marque institutionnelle «Artisanat du Maroc», qui a acquis une grande notoriété à l’échelle nationale et internationale. Notre objectif est que les jeunes fassent le choix d’aller vers l’artisanat.
Dans le même sens, le département a mis en place une idée innovante, l’émission «Sanaat Bladi», qui en est actuellement à sa 4e édition. Cette émission, qui a eu un impact positif sur l’image du secteur et des échos appréciables chez la population des jeunes, met en valeur le potentiel de créativité et d’innovation des jeunes artisans marocains.
• Le 3e pilier est l’offre de modes de formation adaptés au contexte du secteur, tel que la formation par apprentissage caractérisée par la prépondérance de la formation pratique au sein même du milieu professionnel. À signaler que ce type de formation est largement accessible aux jeunes, puisqu’il est ouvert à ceux n’ayant qu’un niveau d’enseignement élémentaire, et même à ceux qui n’ont pas eu l’opportunité d’être scolarisés.
• Le 4e pilier est l’appui sur les partenariats au niveau national et même international pour démultiplier les investissements du secteur. Grâce à cette mobilisation, des partenariats ont pu être établis et ont permis à ce ministère de mettre en œuvre ses plans d’action territoriaux, en n’y contribuant qu’à hauteur de 25,8% alors que le reste des ressources financières nécessaires est mis à disposition par nos partenaires.
À citer également dans ce cadre le Programme de coopération américaine MCC dont a bénéficié ce Département, et dont la logique d’intervention même est la stimulation de la croissance économique par l’amélioration de la productivité et de l’emploi dans les secteurs à fort potentiel comme celui de l’artisanat. Pour rappel, le ministère a réalisé dans le cadre de ce Programme d’envergure des projets ayant trait aux volets Promotion, Production et Formation professionnelle et Alphabétisation fonctionnelle, ainsi que d’autres projets concernant Fès Médina.
Création de 115 000 emplois. Comment votre département s’est-il organisé pour atteindre cet objectif ?
Nous avons vu que l’un des objectifs stratégiques de la Vision 2015 est la création de 115 000 emplois, soit un taux de croissance annuel moyen de l’ordre de 2,95% sur 10 ans. Avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut savoir qu’un travail en amont a été entrepris afin d’assurer le pilotage de la Vision et le suivi des objectifs stratégiques, dont celui de l’emploi.
Un Observatoire a été créé pour assurer la production périodique des indicateurs stratégiques relatifs au secteur, ce qui a permis de révéler que le chiffre d’affaires global du secteur a évolué avec un taux de croissance annuel moyen de 13% entre 2007 et 2012, et que l’emploi a progressé de 2,3% durant la même période. Nous sommes heureux d’annoncer qu’une nomenclature des activités de l’artisanat a été mise en place en 2013 ce qui est une grande avancée pour le secteur de l’artisanat et va contribuer à affiner les statistiques relatives à l’emploi dans ce secteur. Sa mise en œuvre se fera durant l’année en cours et assurera ainsi la transparence du secteur au sein des Comptes nationaux.
N’oublions pas que les plans d’action de la stratégie ont pour objectif le développement et la croissance du secteur, ainsi que leur corollaire, la création de postes d’emplois. La Vision 2015 prévoyait 6 plans de développement à l’horizon 2015, mais l’élaboration et la signature des Plans de développement régionaux de l’artisanat se sont faites à un rythme si accéléré que nous en sommes actuellement à 16 plans dont 7 ont été signés et sont en cours de mise en œuvre, 3 sont en instance de signature, 3 autres sont en phases finales des études les concernant et les 3 derniers sont en phase d’étude.
Et bien entendu, tous ces PDRA avec les plans d’action qui en découlent vont déboucher sur la création d’emplois. Plus de 700 PME ont été créées dépassant de loin l’objectif fixé à 300 PME pour 2015 ce qui reflète les efforts en matière de dynamisation et de développement du tissu d’entreprises d’artisanat. Et dans le cadre de cet axe également, les contrats de croissances signés entre le ministère et les acteurs de référence ont prévu un engagement qui oblige ces derniers à recruter annuellement de la main-d’œuvre artisanale qualifiée. À noter aussi que la création des coopératives d’artisanat a connu un élan important suite au lancement des chantiers de la Vision 2015. Ainsi, le nombre de coopératives d’artisanat est passé de 773 en 2008 à 1 640 coopératives vers la fin 2013, avec un effectif d’adhérents qui atteint les 28 305. D’un autre côté, et dans le cadre de l’approche genre, le ministère, en partenariat avec les acteurs locaux, a créé et équipé 38 «Dar Sanaa», ce qui a permis d’assurer de l’emploi à 3 522 femmes artisanes rurales. L’un des axes stratégiques de la Vision 2015 est le volet de la formation professionnelle qui permet à des jeunes de s’intégrer de façon effective dans la dynamique économique et sociale que connaît le Royaume. Le mode de formation par apprentissage est une expérience réussie qui permet aux étudiants d’être d’emblée en contact avec le milieu professionnel et aux lauréats d’arriver facilement à s’intégrer dans le monde du travail. Mieux encore, une bonne partie de ces lauréats ont créé leurs propres entreprises dans le cadre de l’auto-emploi.
Qu’est-ce qui se fait actuellement en termes de filières et de formation ?
Le secteur a pu non seulement survivre, mais également se développer, grâce à la transmission du savoir-faire de génération en génération, ce qui prouve qu’une partie non négligeable des jeunes Marocains se dirigent vers les différentes filières du secteur de l’artisanat. La formation sur le tas a toujours constitué le mode de transmission par excellence dans ce secteur. Il est intéressant de constater une forte demande de formation continue de la part même des artisans qui réalisent l’importance d’approfondir leurs connaissances et de suivre les tendances. Il est vrai cependant que les établissements de formation professionnelle (EFP) de l’artisanat n’ont pas toujours été aussi attractifs pour les jeunes, le secteur de l’artisanat ayant longtemps été taxé de conservatisme et d’«old fashion» en particulier par les jeunes, qui, de par leur nature, aspirent aux secteurs plutôt modernes. Il est heureux de noter que les choses commencent à bouger, l’artisanat se dépoussière, les créativités se libèrent et l’innovation est à l’ordre du jour tout en essayant de garder l’âme et l’authenticité du produit. Améliorer de manière générale les conditions et la qualité de la formation et surtout répondre aux différentes aspirations des jeunes telles sont les ambitions de la mise à niveau du dispositif de la formation professionnelle dans le secteur.
Au niveau du 3e axe stratégique de la Vision 2015, il est prévu qu’«afin d’accompagner efficacement le développement du secteur, les parties conviennent que le système de formation et de qualification devra être profondément réformé…», et c’est ainsi que le ministère s’est inscrit dans un processus de mise à niveau et d’amélioration continue. Il a mis en place un plan d’action intégré touchant tous les aspects liés à son dispositif de formation professionnelle, visant à la fois l’amélioration de la qualité et de la pertinence de la formation professionnelle initiale, destinée aux jeunes stagiaires et apprentis, et le développement des compétences techniques et managériales des artisans en activité à travers des plans de formation continue adéquats. De manière très succincte, ce plan d’action porte essentiellement sur les axes suivants :
• La refonte et l’amélioration de l’ingénierie de formation, à travers l’élaboration et le développement de nouveaux référentiels de formation, selon l’approche par compétences (APC), dont certains concernent des modules innovants tels que le design et la créativité, les NTIC…
• Le renforcement des ressources formatives des établissements de formation professionnelle en matière de recrutement et surtout de perfectionnement.
• L’amélioration des espaces de formation en termes d’aménagement des sites et d’équipements techniques et didactiques appropriés.
• Le lancement d’une nouvelle génération d’établissements de formation (CFA : Centres de formations par apprentissage), dans le cadre d’un concept intégrant à la fois la production, la formation, la commercialisation et l’accompagnement à l’insertion des lauréats.
• L’élaboration, pour la 1re fois, de supports de formation numériques, réalisés dans le cadre du programme de préservation des métiers menacés de disparition, ce qui constitue les premiers jalons d’une formation à distance (e-learning), qu’on pourrait envisager dans les années à venir, comme élément supplémentaire d’attraction des jeunes à la formation dans le secteur de l’artisanat.
• Et enfin, il y a lieu de citer la réalisation récente de l’Académie des arts traditionnels à Casablanca considérée comme une première dans l’histoire du secteur, vu qu’elle va former une nouvelle génération d’artisans dotés de hauts diplômes et de hautes compétences.
• Un grand effort est fait en matière de visibilité du secteur qui est en train de changer progressivement de visage tout en conservant son authenticité et qui s’invite régulièrement dans les familles à travers les différentes émissions télévisées ce qui œuvre pour la notoriété, de notre artisanat qui bénéficie d’une politique de communication globale.
Quelles perspectives d’évolution pour le métier de l’artisanat ?
Cette question est au cœur des préoccupations du ministère, car il y va de la viabilité même du secteur. En fait, nous sommes totalement conscients que nous avons un défi à relever, qui est celui de préserver l’authenticité des métiers et des produits représentatifs de la culture, de l’art de vivre et de la civilisation marocaine, et d’assurer en même temps leur évolution de façon à ce qu’ils puissent répondre aux nouvelles exigences nationales et mondiales en matière de commercialisation, de qualité, de tendance et de demande du marché. Pour ce faire, et pour la première fois dans l’histoire du secteur, une Nomenclature des activités d’artisanat a été élaborée dans le cadre de coopération avec l’Union européenne. Parallèlement à cela, un projet de loi sur l’organisation des métiers a été établi, tenant compte des évolutions du contexte dans lequel opère le secteur.
D’autre part, et conscient de l’importance de la normalisation et de la qualité, ainsi que de leur impact sur le développement du secteur, sur la compétitivité des entreprises ainsi que sur la protection des consommateurs et la demande externe, le ministère s’est engagé dans un programme normatif dont le bilan actuel est de 183 normes, 10 marques collectives de certification à l’exemple de la marque Madmoun relative aux produits céramiques à usage culinaire, et 3 labels dont le label national «Artisanat du Maroc».
Et dans l’objectif d’assurer l’évolution du produit artisanal et son adaptation aux goûts et à la demande des différentes catégories de consommateurs marocains et étrangers, le ministère a adopté une approche basée sur la mise à la disposition des artisans de «collections» d’objets créées par des designers de renom, libres de droits. Parmi les réalisations relatives à cet aspect, il y a le cuir à Marrakech, la céramique à Safi, le fer forgé à Marrakech, la bijouterie à Tanger, la vannerie à Taza et autres. Aussi, ne faut-il pas occulter un volet important auquel le département accorde un grand intérêt qui est celui de la recherche et développement, considéré comme essentiel pour l’amélioration de la qualité des produits de l’artisanat marocain et pour l’innovation et l’accroissement des capacités du secteur. Nos actions dans ce sens traduisent notre volonté d’orienter davantage la R&D vers le traitement des problématiques confrontées par le secteur, dont la qualité des matières premières utilisées, ou encore les techniques de production des artisans.
Dans ce cadre, le partenariat avec plusieurs universités pour des expertises techniques va être renforcé davantage par le ministère.
Par ailleurs, et toujours dans le même sens, le ministère travaille sur le chantier préservation des métiers afin d’assurer la relève au niveau de certains métiers menacés de disparition, et garantir leur transfert aux nouvelles générations. Dans ce cadre, 14 métiers ont été transcrits jusqu’à présent, dont celui de la reliure dorure, le zellige de Tétouan, la poterie de Meknès, les selles traditionnelles, la marqueterie fine de Fès et autres.
Le 22 février 2014
SOURCE WEB Par Najat Mouhssine  LE MATIN

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