Le projet Desertec : mirage ou réalité?
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“Deux ans après la création de la Fondation Desertec1 , qui vise la création de la plus grande exploitation d’énergie solaire au monde dans les déserts d’Afrique du Nord, et de la constitution de la société d’investissement DII (Desertec Industrial Initiative), le nombre d’investisseurs privés n’a pas cessé d’augmenter2 , en incluant récemment une entreprise française, Saint Gobain, à |
travers sa filiale Saint Gobain Solar. La principale ambition du projet est la progressive constitution d’un mix électrique européen que d’ici à l’horizon 2050 assurera la diversification des approvisionnements européens, qui sera de plus éco compatible, avec la majorité de l’énergie provenant de sources renouvelables
Le futur mix électrique européen pourra donc être composé, selon la Fondation Desertec, de 17% d’énergie provenant du soleil des désert qui permettra de remplacer en partie l’utilisation des fossiles. Cet objectif est-il réalisable ? Quelles sont les difficultés techniques, économiques et politiques auxquelles le projet devra faire face ?
Les autoroutes de l’énergie pour profiter du solaire
Le projet Desertec repose sur un constat : 1% de la surface des déserts mondiaux permettrait de produire la totalité de l’énergie nécessaire à la consommation électrique mondiale. Ce réservoir illimité d’énergie doit être néanmoins exploité avec une technologie qui permette de stocker l’électricité pour exploiter à pleine puissance l’énergie intermittente issue du renouvelable. La solution technique proposée par le projet Desertec repose sur les technologique de solaire thermodynamique ou CSP (Concentrating Solar Power). Le solaire thermodynamique permet en effet de produire l’électricité sur la base du même fonctionnement d’une centrale thermique classique (pour plus de détails, voir notre article qui détaille la technologie « Les centrales solaires thermodynamiques ont-elles un avenir dans le mix électrique mondial? »).
Les pays concernés par la mise en œuvre du projet Desertec sont ceux des déserts d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, qui possèdent un ensoleillement constant pendant toute l’année. Il se pose alors le problème du transport de l’électricité produite pour relier les centrales CSP à l’Europe et approvisionner à la fois les pays producteurs et ceux importateurs. Afin de dépasser ce problème, le projet Desertec propose le déploiement de lignes à courant continu.
L’utilisation sur des longues distances des lignes de transmission à Courant Continu à Haute Tension3 (voir notre article sur le retour du continu dans le transport d’électricité) est mise en avant afin de minimiser les pertes durant le transport. Cette technologie permet en effet de réduire les pertes à 3% par 1000 km et à terme, jusqu’à 5% par 3000 km grâce à l’évolution de cette technologie. Des lignes à courant continu de la capacité de 3GM ont déjà été déployées par des entreprises comme ABB et Siemens. Ce dernier, en juillet 2007 a décroché un appel d’offre pour la construction d’un système de transmission de 5 GW à courant continu en Chine.
L’idée serait donc de créer des « autoroutes » à courant continu pour traverser les longues distances de la région EUMENA et de relier les points centraux de chaque pays. En revanche, pour la transmission locale, des lignes à courant alternatif pourraient être développées pour satisfaire aux besoins de consommation des pays producteurs.
Si les solutions proposées permettent d’apporter des réponses en termes techniques, il reste néanmoins des doutes sur la viabilité économique et la mise en œuvre du projet.
Comment assurer la viabilité économique et politique
Le coût estimé par les études du Centre Aérospatial Allemand (CAA) pour la construction d’une centrale CSP de 250 MW avec un système de refroidissement par air4 serait d’environ 1 milliard d’euros. La Banque Mondiale, à travers le Clean Technology Fund Trust Fund Committee a déjà approuvé l’ « Investment Plan for Concentrating Solar Power in the MENA Region » afin de mobiliser 5.6 milliards de dollars pour accélérer le déploiement de 1 GW de capacité de génération provenant des centrales CSP.
Principaux indicateurs de l’interconnexion des centrales CSP via des
lignes à courant continu entre 2020 et 2050 (scenario TRANS-CSP,
2006). En 2050, des lignes avec une capacité de 5 GW chacune pourraient
transmettre 700 TWh/an d’électricité depuis 20 ou 40 endroits différents au
Moyen Orient et en Afrique du Nord vers les principaux centres de demande d’électricité
européens
Ces coûts élevés ne seront garantis que grâce à la mise en place d’un réseau efficace et cohérent parmi les centrales MENA. La conception et le déploiement de la structure du réseau autoroutier à courant continu du projet Desertec sera assuré par la société Dii. Un des objectifs de la société Dii sera en effet celui de créer, d’ici 2012, le cadre réglementaire et législatif ainsi que le scénario de développement jusqu’à 2050 nécessaires pour la bonne réussite du programme. Dans le plan de développement, une première centrale pilote sera construite au Maroc.
L’enjeu de coordination et de création d’un cadre réglementaire homogène pour tous les pays est d’autant plus important étant donné l’environnement politique de la région qui n’est pas des plus stables. Le risque d’une interruption de transmission de l’électricité reste le maillon faible de la chaîne vertueuse de production proposée par Desertec.
D’une dépendance du pétrole à une dépendance solaire ou comment éviter l’interruption de transmission de l’énergie
Une des difficultés du projet repose sur la capacité de déployer un réseau unique sur un ensemble de pays qui cohabite dans des endroits très chauds de la planète, non seulement d’un point de vue climatique mais aussi politique ! Comment assurer que la fourniture d’électricité ne devienne pas une dépendance et donc une exposition au risque de défaut d’approvisionnement ?
Tout d’abord, il faut rappeler qu’à différence du pétrole, du gaz ou l’uranium le soleil est une ressource illimitée et régionalement moins localisée. Cette disponibilité, quoique variable selon les endroits de la planète, limite le risque de la création d’une OPEP du solaire qui déterminerait les prix et les crises énergétiques. Néanmoins, si le risque d’un cartel solaire peut être évité, la volonté politique des pays MENA de participer à cette initiative compte tenu des conflits qui les séparent aujourd’hui5 est une variable importante qui reste indéterminée. Des pays comme le Maroc, l’Algérie, l’Egypte et l’Arabie Saoudite, sont-ils capables de s’entendre pour construire ensemble un projet cohérent de réseau transnational ? Deux impulsions importantes seront nécessaires afin de garantir le support politique des pays intéressés par le projet.
D’un côté, il faudra créer les conditions réglementaires favorables au développement du projet. La Fondation Desertec sera dédiée à créer les législations adaptées aux contextes dans les pays concernés. De plus, l’Union Européenne devra appuyer cette démarche grâce à la conclusion d’accords commerciaux pour l’intégration des réseaux entre les deux « côtes » de la Méditerranée. Cette coopération a été initiée en 2008 grâce à l’Union pour la Méditerranée (UPM) et à la Politique Européenne de Voisinage qui vise à exploiter le fort potentiel de production d’énergie verte dans les pays du Maghreb et du Machrek. Dans ce contexte a été crée le projet Transgreen, ayant pour objectif de « proposer un schéma directeur technique et économique d’un réseau de lignes de transport d’électricité transméditerranéen capable d’exporter une puissance de 5 MWe vers l’Europe6». Les entreprises françaises, telles que EDF, RTE, Veolia, ou le bailleur de fond AFD (Agence Française de Développement) figurent parmi les signataires du protocole d’intention de l’initiative.
D’autre part, la volonté politique pourrait être stimulée par les avantages économiques que la Fondation Desertec prévoit dans le cadre du développement du projet. La création et le maintien du réseau ainsi que la construction des centrales favoriseront la création de postes de travail et stimuleront la croissance. L’apport de nouvelles technologies et la coopération technique avec les majeures entreprises européennes devraient ainsi promouvoir le développement de la région.
Enfin, la coopération de ces pays dans le secteur de l’électricité pourrait à terme se convertir dans une forme de coopération plus poussée, comme celle qui a donnée lieu à la construction de l’Union Européenne. Une CECA7 de l’électricité pourrait donc voir le jour, à travers une mise en commun des réseaux électriques et le début d’une législation commune à laquelle se soumettraient les pays participants.
L’enthousiasme suscité par le Projet Desertec est désormais indéniable. Mais bien que les analyses montrent les avantages économiques et environnementaux que les technologies déployées seront en mesure d’apporter, il reste néanmoins l’incertitude du facteur politique, du « risque pays ». Le renfoncement de la politique européenne de coopération dans les pays de la méditerranée à travers des initiatives telle que l’UPM devient donc un élément clé pour la réussite de ce projet. L’enjeu pour le projet Desertec est maintenant de concilier et rendre cohérentes toutes ces différentes actions spontanées proposées par une multiplicité d’acteurs, publics et privés.
Notes :
(1) Le concept Desertec a été développé par le Club
de Rome allemande en 2003 et supporté par les études de faisabilité du Centre
Aérospatial Allemand entre 2003 et 2007
(2) Les members fondateurs et actionnaires de la
société Desertec industrial initiative sont la Fondation DESERTEC et 12
sociétés : ABB, ALBENGOA Solar, Cevital, Deutsche Bank, E.ON, HSH Nordbank, MAN
Solar Millennium, Munich Re, M+W Zander, RWE, SCHOTT Solar et SIEMENS. Les
autres sociétés qui ont rejoint le projet en 2010 sont Saint Gobain, Enel, Red
Electrica, le marocain Nareva Holding, 3M Deutschland, Bilfinger Berger,
Commerzbank, Evonik Industries, First Solar, FLABEG, IBM Deutschland, KAEFER
Isoliertechnik, Lahmeyer International, Morgan Stanley Bank AG, Nur Energie,
OMV, SchoellerRenewables, les italiens Italgen et TERNA ENERGY
(3) En anglais : HVDC – High Voltage Direct Current
(4) Parmi les options de refroidissement : eau
potable, eau de la mer (avec la possibilité d’ajouter des turbines et produire
de l’eau potable grâce au dessalement) et air
(5) Israël s’est dit intéressé par le projet
(6) Communiqué : signature du protocole Transgreen, 5
juillet 2010, www.transgreen.eu
(7) La CECA était la Communauté Européenne du Charbon
et de l’Acier créée en 1952, afin d’empêcher une nouvelle guerre entre
l’Allemagne et la France. Depuis, plusieurs traités ont été constitués jusqu’à
la création de l’Union Européenne
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Source : web SIA Conseil 31/10/2010